Probabilité de chance de risque = 100% puissance quatre

Probabilité que tout se passe bien = zéro.

"Reader, I think proper, before we proceed any farther together, to acquaint thee, that I intend to digress, through this whole history, as often as I see occasion."

Henry Fielding, Tom Jones

jeudi 5 février 2009

Un Compte de fées

Il était une fois une Bourse où les traders vivaient en paix. Les fusions et acquisitions se succédaient au gré des saisons. Les millionnaires étaient légions.


Mais un jour, un terrible sorcier décida de tout chambouler. Il s'appelait… Crise. Il était le fils d'un bêta et d'un delta, descendant de la race maudite des Titrisations. Sa méchanceté n'avait d'égale que son avidité malsaine. Bien connu des services secrets russes, Crise avait lancé une OPA sur la Volga en 64. Immortel, il avait déjà ruiné l'Empire égyptien, balayé les Phéniciens. Sa puissance était telle qu'en 1929, il avait noirci un jeudi d'octobre. Crise avait capturé Ebitda, une féconde princesse qui n'avait néanmoins pas encore donné de ROI. Maintenue prisonnière dans un lieu secret, gardé par un certain Madoff, geôlier né des côtes de Crise et élevé par l'Avarice. Madoff torturait Ebitda chaque jour. La pauvre était si désespérée qu'elle lança un appel sur le markets data.


Le Trader Charmant, Roy, lu son texte déchirant. Gueule d'amour et mallette en cuir aussi lisse que les joues d'un chérubin, Roy avait tout pour plaire. Son sourire éclatant rendant les enfants aveugles, ses cheveux gominés permettaient aux oiseaux de s'y reposer. La fluidité du tissu de ses costumes Hugo Boss faisait frissonner les plus coriaces des fonctionnaires. La "win" se lisait dans ses pupilles d'acier. C'était le meilleur parti de Wall Street, le golden boy de la Big Apple. Tout lui réussissait, y compris les collateralized debt obligations (qui, précisons-le, n'étaient pas des tendres). C'est lui qui avait dominé le premier des swaps de taux, en leur faisant mordre la poussière dans le jardin d'Alan Greenspan.


Roy vit donc dans le markets data cet appel bouleversant : « 3 068.99 (c) Pts - 23% Nyse Euronext Temps réel ». Il regarda les gratte-ciels de son bureau de la pointe Sud de Manhattan, et pensa. Il pensa à sa value at risk très fort. Tout à coup, Roy descendit l'ascenseur en courant (il était le seul à connaître la technique : c'était un survivant du 11 septembre), enfourcha fougueusement son fidèle destrier Èmèné et partit à l'aventure, pour libérer Ebitda. Il traversa Londres et Shanghai, Paris et Tokyo, et même, les ruines de Lémane Brozers, qui lui arrachèrent quelques larmes. Loin d'être déstabilisé, il pris son cash flow en main, et vola de plus belle au secours d'Ebitda.


Un beau jour, il croisa sur son chemin Audit. Sage d'entre les sages, Audit avait pourtant l'air bien modeste dans son costume ocre Delaveine et ses lunettes à montures épaisses. Il semblait même un peu poussiéreux, mais Roy savait qu'il ne fallait jamais se fier aux apparences en finance. Audit marmonna dans sa barbe moisie : « Ebitda est retenue prisonnière dans un compte offshore, alors dépêche-toi crétin des îles ! » Roy le fixa, perplexe. « Un paradis fiscal ? Mais qui l'eut cru ! ». C'est alors qu'Audit lança cette phrase assassine : « T'attends l'élection du facteur ou quoi ? Fonce ! ».


Roy remonta sur son destrier Èmèné, salua du majeur Audit, et se dirigea au grand galop vers les îles Caïman. Arrivé à destination, il se trouva face à Crise. Crise était un géant, bien plus imposant que Roy ne s'y attendait. Son air insidieux lui glaçait le porte-monnaie, mais Roy savait qu'il était trop tard pour faire marche arrière. Il envoya une devise à la face de Crise, qui répliqua en lui jetant une subprime visqueuse dans les dents. Roy fit un pas en arrière, et planta un future dans le pied de Crise. Déstabilisé, Crise s'effondra. Roy en profita pour lui donner le coup de grâce : il lui enfonça dans le cœur un commissaire aux comptes miniature, et l'étouffa en lui flanquant le petit livre rouge de Mao dans la gorge. Crise mourut, et Roy libéra Ebitda.


« Veux-tu avoir des ROCE (return on capital employed) avec moi ? », dit-il à sa belle.

« Je ferai tout pour te satisfaire, mon petit dollar à la crème », répondit-elle.

« Alors fais-moi un hedge fund, Babe », conclut Roy d'un air lubrique.

C'est ainsi que le Trader charmant et Ebitda vivèrent heureux et eurent plein de gros bonus ensemble.



Anne de Chochult

En hommage à Caïn Hifmens,

Chevalier de la Table d'Excel

1 commentaire:

  1. Bravo, cet infomémo est exquis comme un gateau de private equity.
    En lisant, je suis moins distressed.

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