Dans la boutique, la grosse dame qui m’époussetait chaque matin en chantant du Joe Dassin.
Mon application à chaque fois qu’un client m’essayait. Les rejets. Les gens qui préféraient une vieille Bic à moi. Et enfin, l’homme étrange qui m’acheta, et qui caressa trois fois sa moustache avant de dire « je prendrai celui-là ».
Ma fierté, mon envie de lui plaire, de coucher sur le papier tous les mots qu’il désirait.
Et le choc de notre première fois sur le cahier. Il me força à écrire des choses… épouvantables. Moi qui avais une belle plume, ce n’était pas pour transcrire les pensées lubriques d’un vieux cochon.
Au bout d’une heure, j’avais déjà du mal à surmonter ma peur de la feuille blanche. L’imagination de mon maître était sans limite, alors je dus prendre une décision. Tout en dessinant un pénis de morue et une femme à barbe qui s’accouplait à une gomme, je conclus que mon unique option était de jeter l’encre, même si cela signifiait mourir.

Terrifié, je commençai à baver alors que mon maître entamait le téton rongé par une murène d’une gladiatrice phénicienne. Je bavais de tout mon être. Mon maître me porta aux portes de sa bouche, et envoya une expiration massive sur ma plume.
Je suffoquai, mais bavai de plus belle.