Probabilité de chance de risque = 100% puissance quatre

Probabilité que tout se passe bien = zéro.

"Reader, I think proper, before we proceed any farther together, to acquaint thee, that I intend to digress, through this whole history, as often as I see occasion."

Henry Fielding, Tom Jones

vendredi 11 juin 2010

CRIME ET CHATIMENT

Paris, le 7 juin 2010



A l'attention de l'Editeur Royal des Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique


Monsieur,



De séjour à Bruxelles le week end dernier, nous avons visité l’exposition « Symbolisme en Belgique » aux Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique. Les œuvres exposées nous ont frappées par leur grande qualité, mais nous sommes restées perplexes face au caractère obscur des explications fournies par le « guide du visiteur ».

En effet, ce guide était l’unique porte d’entrée à la thématique du symbolisme - l’absence quasi totale de textes explicatifs étant revendiquée comme un choix assumé - et cette porte nous a été claquée au nez sans ménagement. Nous avons été déroutées par le ton amphigourique et prétentieux, par les notions et références absconses, ainsi que par le manque d’informations essentielles à la compréhension de la démarche artistique.

Cette incompréhension nous étonne pour deux raisons : tout d’abord, comme l’indiquait une des citations en préambule de l’exposition, le symbolisme ne devrait-il pas évoquer des mythes et références intemporelles et universelles, et à ce titre, être intelligible à tous ? De plus, nous nous demandons de quel niveau d’études le visiteur lambda doit pouvoir se prévaloir pour espérer comprendre votre « guide », sachant que les cinq années d’études supérieures que nous avons chacune effectuées ne nous ont pas permis de percer son propos.

En guise d’exemples, nous vous proposons quelques extraits qui nous ont donné du fil à retordre.

Tout d’abord, plusieurs phrases ont retenu notre attention par un style obscur, qui sacrifie la clarté du message à la suffisance du verbe et à des constructions littéraires élégantes mais creuses : « De l’expansion de l’encre surgit une fantasmagorie qui témoigne d’une vie psychique ramenée à l’origine », ou bien « Aux sombres méandres de l’inconscient, la fleur oppose les circonvolutions de son expansion dans l’espace. ».

Bien plus problématique est l’abondance de concepts et références culturelles et artistiques présentés comme des évidences, et qui ne peuvent pourtant être perçus comme telles que par des experts en art de votre niveau. « A l’azur répond une aspiration mystique qui fait de l’image un « logogriphe visuel » - selon la formule employée, en 1898, par la critique viennoise – vouée au silence » : que signifie un « logogriphe » ? Qu’est donc la critique viennoise ? « Marqué par les visions mythographiques de Gustave Moreau, la tentation se cristallise dans la confrontation de l’ermite et de l’hétaïre » : qu’est ce qu’une hétaïre ? Et qu’entend-t-on par les « visions mythographiques » ? « Les saintes femmes au tombeau renouent ainsi avec une tradition bourguignonne qui participe de la redécouverte des Primitifs flamands que consacrera l’exposition organisée à Bruges en 1902 » : malheureusement, nous ne sommes pas au fait de la « tradition bourguignonne », et le fait qu’elle ait participé à la redécouverte des Primitifs flamands ne nous a pas éclairé. « Péladan se mue en animateur et annonce la consécration de l’Art-Dieu à travers une mise en scène spectaculaire des synesthésies » : aucune de nous trois n’étant neurologue, le terme de « synesthésie » nous est resté obscur. Enfin, « Rallié à l’académisme et lauréat du Prix de Rome, Delville développe désormais une esthétique hantée par l’ésotérisme, l’occultisme et le néo-humanisme ». Qu’est-ce que le prix de Rome ? Et si l’ésotérisme et l’occultisme peuvent être des termes familiers, le néo-humanisme nous semble moins accessible. N’ayant pas l’habitude de nous promener dans les musées un Littré à la main, il faut avouer que toutes ces notions n’ont pu être éclaircies, et nous n’avons pu que nous perdre en conjectures.

De fait, il nous semble que vous avez dérogé à la règle élémentaire de toute transmission de savoir, qui consiste à définir les termes employés. Ceci nous a particulièrement frappé lorsqu’il a été question des salons de la Rose + Croix, qui apparaissent et dans vos textes et dans les peintures, et dont pourtant ni les enjeux, l’idéologie ou le contexte n’ont été explicités.

Pour conclure, nous déplorons le fait que cette exposition si riche n’ait pas été accompagnée d’une véritable guide, mais ait été rendue plus complexe par un canevas d’explications fumeuses et élitistes. Non seulement ces explications, qui n’en sont pas, laissent le visiteur, avide de savoir, frustré, mais elles suscitent également un sentiment humiliant d’inculture.

A l’heure où la démocratisation de la culture à travers l’accès aux musées pour tous se pose comme un enjeu crucial, il nous semble qu’un tel ton employé dans un document de prétendue vulgarisation semble inadapté. Bien plus que le caractère payant d’un billet d’entrée, c’est l’absence de pédagogie déployée vis-à-vis de votre public qui est la véritable barrière à l’accès de tous au patrimoine artistique.

Pour reprendre vos mots, votre guide, et nous le regrettons, n’est finalement qu’ « un savoir perdu pour la masse et dont seul l’initié a conservé le sens ».

Nous attendons avec impatience votre réponse et vos éclaircissements.

Cordialement,

Bâle Ferigonzella, Pam Iritée & Ynipe Oll' Thaicot

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