Probabilité de chance de risque = 100% puissance quatre

Probabilité que tout se passe bien = zéro.

"Reader, I think proper, before we proceed any farther together, to acquaint thee, that I intend to digress, through this whole history, as often as I see occasion."

Henry Fielding, Tom Jones

jeudi 9 avril 2009

Dernier jour d’un stylo plume pudique

Couché sur la feuille blanche, je sentais mon corps de métal laqué se dessécher. Sur les verres poisseux des lunettes de mon maître, je me voyais mourir pour mes idées. Je pris une inspiration finale, et revis en l’espace de quelques secondes les derniers instants de ma courte existence.

Dans la boutique, la grosse dame qui m’époussetait chaque matin en chantant du Joe Dassin.
Mon application à chaque fois qu’un client m’essayait. Les rejets. Les gens qui préféraient une vieille Bic à moi. Et enfin, l’homme étrange qui m’acheta, et qui caressa trois fois sa moustache avant de dire « je prendrai celui-là ».

Ma fierté, mon envie de lui plaire, de coucher sur le papier tous les mots qu’il désirait.
Et le choc de notre première fois sur le cahier. Il me força à écrire des choses… épouvantables. Moi qui avais une belle plume, ce n’était pas pour transcrire les pensées lubriques d’un vieux cochon.

Au bout d’une heure, j’avais déjà du mal à surmonter ma peur de la feuille blanche. L’imagination de mon maître était sans limite, alors je dus prendre une décision. Tout en dessinant un pénis de morue et une femme à barbe qui s’accouplait à une gomme, je conclus que mon unique option était de jeter l’encre, même si cela signifiait mourir.
...

Terrifié, je commençai à baver alors que mon maître entamait le téton rongé par une murène d’une gladiatrice phénicienne. Je bavais de tout mon être. Mon maître me porta aux portes de sa bouche, et envoya une expiration massive sur ma plume.
Je suffoquai, mais bavai de plus belle.

Les taches le mirent dans une rage folle. Il me tripota dans tous les sens, mais je ne me laissai pas démonter. Je supportai la douleur. Comme téléporté dans l’Arizona, je me sentais sur le grill de la mort, et l’encre s’écoulait tragiquement à travers mes pores.

Quelques minutes plus tard, mon maître avait grillé toutes ses cartouches.

Je crachotai alors les dernières gouttes de vie qu’il me restait, et dans un ultime sursaut, je réalisai que je mourrais démembré : ce monstre avait poussé mon bouchon un peu trop loin.


Anne de Chochult
Hentai de Hokusai : "Le rêve de la femme du pêcheur"

8 commentaires:

  1. j'enregistrerais bien un commentaire, tiens !

    RépondreSupprimer
  2. tiens ben moi aussi alors !

    RépondreSupprimer
  3. je suis un pauvre ignorant qui ne parle pas français, mais je voudrais dire une chose:

    muito bom esse conto.
    de verdade, gostei.
    é certo que tive que adivinhar o significado das palavras dentro do contexto e que, por isso, perdi a precisão dos detalhes, mas a ideia de uma caneta tão altiva que se sacrifica por orgulho e moralismo me pareceu fabulosa.
    gosto deste sentido de humor, dessa leve ironia. gosto disso.

    c'est ça.
    salut!

    RépondreSupprimer
  4. tant que le poulpe, lui, ne jette pas l'encre...

    RépondreSupprimer